Un parmi des millions. Chinois parmi tant, d'une famille de marquis. Son enfance ? Inutile. Le portrait de ses parents et frères et soeurs, depuis longtemps effacé de sa mémoire. Des bribes d'éducation qui lui collent à la peau un millénaire après, mais sous le joug d'un esclavage qui aurait bien plus fait office de dressage. Prisonnier de guerre contre les Mongoles, capturé sous le règne même du grand Chinggis Khaan, en chaîne, renommé. Ironie du sort que son maître se décide pour Nergui. Ah, sarcasme et foutaises ! Nom protecteur pour éloigner les mauvais esprits, mais présage de sa vie future en tant que "pas homme". Pasquinade épique au point que plus jamais, il en changera. Si parlant de sa vie vampirique, et non un fer rouge engravé dans son esprit pour ce qu'il se souvient encore comme sa seule famille. Enlevé encore, à ses dix-sept ans, acheté par un voyageur européen, faible imitateur d'un Marco Pollo superflu, mais qui cachait en son esprit plus d'une noirceur dont l'enfant en fit les frais jusqu'à se faire figer à ses dix-huit ans à son apparence éternelle pour préserver cette jeunesse qui avait tant adoucit ce maître vampirique au point d'en être intoxiqué. Et pourquoi changer quand il suffit de figer ? Pourquoi voir ailleurs, quand un petit être fragile était à la merci ? Nergui, petit Nergui qui cherchait à détruire ce que ce maître aimait tant chez lui, qui ne pouvait pas se voir dans la glace sans vomir, qui voulait en finir sans avoir le droit d'en finir dans un périple à travers l'Asie où sa seule attache et son seul repère étaient ce qu'il exécrait le plus au monde.
Destination finale ? La maison, la France, la Patrie qui n'a jamais été sienne, mais qui le sera à présent. Un repos mérité d'un long voyage pour l'Exécrable qui voulait renouer avec ses paires, à pavaner son trophée exotique qui aiguisait ses armes en silence, dans le plus grand des secrets. Quelques mots discrets de velours ici et là transportés par le vent social le menèrent à sa liberté dont il s'abreuvait pleinement. Nergui, toujours petit Nergui, qui profite d'une vie enfin retrouvée depuis son enfance. Qui s'engage dans les tréfonds de la France, dans les manigances, la torture et l'exécution sous quelques instructeurs savants. Qui apprit, en 1789, que des vampires qui cherchaient la mort, las de vie, existaient. Un repos éternel qu'il avait lui-même tant souhaité, mais écarté une fois rené de ses cendres. Atteint d'une émotion nouvelle, la compassion, il brandit son épée pour calmer des morts en peine sous l'excuse d'une révolte sanguinaire.
Troublé par cet épisode, Nergui, éternel petit Nergui, s'en alla à son propre périple à travers l'Europe et l'Asie. Renouant avec ses origines, admirant les statues de Chinggis, un Airag à la main, façonnant ses masques au gré des rencontres éphémères. S'éparpillant au gré de ses tessons. Un peu de chair à chaque empreinte de ses pas. Il s'échoua cette fois-ci en Allemagne où il rencontre Madame Widukind. Il décida de rester, de se marier, de se nationaliser et de prendre le nom. Une envie amoureuse pas nécessairement facile à mettre en place à vue de sa nature de démon nocturne, mais qu'il arriva à assouvir avec l'aide de l'hypnose. Un masque de plus dans son répartoire, quelle différence ? L'époux attentioné, aux canines cachées. Mais l'expérience de couple, quoique divertissant un moment, est faible face au temps éternel. Combien d'années, de décennie de siècle ? Le temps n'avait peu d'importance pour le vampire arraché en morceaux depuis l'enfance. Seule la Guerre avait de l'importance. Non pas la première, mais la seconde. Foutaises et ironies quand on avait témoigné de la guerre depuis sa naissance ! Seconde ! Mais dévastateur comme jamais il n'en avait vu une.
Seul, marié à lui-même, voilà ce qu'il désirait à présent. En un endroit nouveau, pas encore souillé par son passé. Pas trop loin, car le voyage avait un goût amer. Pas trop près, car la sédentarité avait un air de relations échouées. Le Danemark, ça lui semblait bien. Avec ses morts, ses fards et masques, à enterrer l'esclave mort, brûler la gerbille écrasée, fêter le vampire en cendres. Une entreprise peu visitée, les pompes funèbres Widukind existaient depuis quelques siècles à peine. Peu connue, mais ô que cher. Car Nergui est serviable. La cérémonie à plusieurs dizaines voire centaines de milliers d'argents fera son bonheur autant que celui de votre deuil. Avard ? Que nenni ! Les enterrements verts sont également dans son catalogue et qui passe derrière le comptoir pourra sûrement négocier une taxidermie de son chat. Le tout dans l'anonymat que lui confère le deuil de ses clients, le regard détourné suite à ce sujet déplaisant.
Son seul regret ? L'illégalité de la mise à part de vampires las de la vie.

Car la mort était un droit.