Il y a eu trop de choses.

Dans la catégorie des causes de ton trouble de l'attachement sévère, il y a eu trop de choses pour mettre le doigt exactement sur la justification, la raison du pourquoi et du comment tu n'es pas normal.

Tu as changé de centre de reproduction à tes trois mois et tu as commencé ton éducation à tes quatre ans.

Il arrive parfois qu'un PILLS soit un échec. Toi, tu n'étais pas vraiment en santé, pour commencer tu étais affreux, tu avais manqué d'air et on assumait d'avance une infirmité cérébrale. Pour gâcher encore plus, tu étais un bébé albinos. Bonjour la banque de sang, il fallait juste que tu grandisses un peu.

Un gardien t'a un jour raconté que ta génitrice a essayé de te tuer. Tu ne sais toujours pas aujourd'hui si c'est par hargne ou par pitié.

C'était la première fois qu'elle essayait de s'en prendre à sa progéniture. C'était aussi la première fois que la génétique ne lui donnait pas un enfant "parfaitement standardisé". Ta mère était une porteuse parfaite de PILLS, elle avait trop de valeur pour qu'on se débarrasse d'elle, alors c'est toi, vulgaire future poche de sang, qu'on a transféré dans un centre d'élevage régulier comme tu n'entrais pas dans le moule préformaté du gouvernement. La RBBC t'attendait avec impatience, mais le temps a décidé de contredire les attentes générales par rapport à toi. À tes six mois, tu avais une gueule d'ange. Ta croissance physique était normale, ton intelligence, elle, était supérieure à la moyenne quand on observait ta courbe d'apprentissage. Comme tu semblais enfin grandir normalement, on a décidé de t'accorder le prénom Johann à tes deux ans ainsi que le droit à une forme de reconnaissance sous forme… d'affection?

Au lieu de finir à la banque, tu as fini à la petite école. C'est en cours de musique qu'on a découvert que tu avais l'oreille parfaite. Pianiste né, tu jouais à l'oreille. Tu as appris à lire la musique avant de lire l'Allemand. Puis on s'est rendu compte que tu n'étais pas un pianiste né mais bien un musicien né: Peu importait l'instrument que tu frôlais du bout de tes doigts, après un apprentissage passionné, tu parvenais à y exceller. Ton centre de dressage, intéressé par l'idée d'exacerber tes capacités, te faisait suivre le curriculum général de tout esclave en plus de faire venir Leon Offman, un très vieux vampire, ton professeur de musique qui t'a fait sortir de la musique classique pour t'apprendre mille styles.

Il a fait de toi un prodige du piano.

Vous aviez la plus douce et belle amitié. À tes douze ans, tu déterminais dans ton cœur que si un "papa" existait, c'était ce que Leon était pour toi. Il t'a assez vite donné la permission de l'appeler tel quel. Quoi le petit surnom a vite changé à mesure où tu grandissais et maturais. Il t'a adopté à tes seize ans, s'est entendu avec le centre duquel tu étais sous la juridiction, a payé un prix incroyable et t'a ramené chez lui. Dans l'immense maison des quartiers riches qu'il avait pour demeure, il y avait Jens, son époux qu'il aimait plus que tout, Amadeus, son chat, et Krisztoff, un employé de maison. Adolescent qui n'avait jamais été confronté au monde extérieur, tu t'imaginais trouver une famille. Parce que Leon était ta famille maintenant.

La réalité était toute autre.

Jens, n'était pas content de te voir débarquer, toi l'esclave, le jeune prodige qui appelait son époux "Pa" et dont le prénom était toujours aux lèvres de celui-ci. Source de la fierté absolue de ton père adoptif, tu n'étais pas le bienvenue comme tu détournais son attention depuis trop d'années. Il n'y a pas eu de guerre. Du moins pas en commençant. Entre vous, il n'y avait  qu'un froid monstrueux. Tu t'en foutais un peu, Leon, Amadeus et Krisztoff t'aimaient, eux, et ta vie a trouvé une certaine norme.

Prise de becs avec Jens.

Études supérieures en musique.

Anniversaires sous les éclats de rires.

Perdre Amadeus qui a fuit.

Poster des millers d'affiches.

Retrouver le foutu chat.

Pleurer de bonheur.

Mauvais coups avec Krisztoff.

Premier "concert" dans un bar avec la permission de Leon, ton "maître".

L'ouverture de ta chaîne VampTube.

Le mariage de Krisztoff avec son copain.

Les larmes que tu as versées lorsqu'Amadeus, à ses 27 ans, est parti vers un monde meilleur.

Leon qui était inconsolable.

En fait, c'est probablement ce qui a fait réaliser ta mortalité à Leon. Jens n'était pas d'accord et ton père adoptif ne t'a pas demandé si c'était vraiment ce que tu voulais. Près de deux mois après le décès d'Amadeus, tu t'es réveillé et tu avais une soif incontrôlable que l'eau n'arrivait pas à étancher. C'était contre toutes les attentes possibles et imaginables. Devenu Johann Offman, ça a été un putain d'apprentissage de ne plus te mordre la langue lorsque tu étais nerveux.

Jens n'était pas bien dans sa tête et encore moins avec la décision de Leon. Il était ouvertement jaloux de ta proximité avec son époux, convaincu que tu étais l'amant… de ton père? La situation s'est escaladée avec le temps, Jens est devenu violent. Pas avec toi, mais avec Leon. En cinq ans, tu as vu les violences décupler, tu as vu Leon mutilé.

Tu as essayé de le convaincre de partir et c'est la seule et dernière fois qu'il t'a giflé.

Leon aimait Jens. Il l'aime probablement encore. Après tout, il a choisi de te chasser.

Il t'a abandonné.

En réalité, il a essayé de t'empoisonner à la poudre d'argent. Tu l'as vu faire et le cœur brisé, mon cher Johann, tu as bu la poche de sang pareil. C'était probablement sous l'influence de Jens qu'il a agi, mais chacun est maître de ses actions.

T'as survécu.

Si on échappe un vase et qu'il se casse en morceaux, on a toujours l'option de recoller les morceaux jusqu'à la moindre poussière. Si on le remplit d'eau, il va couler peu importe l'attention qu'on a mise pour le recoller. C'est dommage, mais c'est la réalité.

À défaut de réussir à se débarrasser de toi, il a essayé de t'effacer de sa vie pour peut-être essayer de revenir à "avant". Il a réussi, du moins tu lui souhaites.

Tu étais trop jeune, un vampire trop fraîchement transformé pour être laissé seul avec ce gouffre, ce vide que tu avais absolument besoin de remplir de quelque chose, n'importe quoi.  Tu n'avais qu'une dizaine de balles, ta vieille guitare et ton mini-ampli. Ce que tu avais pu prendre à la sauvette.

Quelqu'un de logique aurait pris au moins quelques poches de sang.

C'est pourquoi tu t'es attaqué à un esclave. Tu l'as bu sans le tuer, mais ce n'était pas loin. Tu t'es fait arrêter et tu as été mis dans un programme gouvernemental pour l'encadrement des jeunes vampires. Tu t'y es inventé un nom, Johann Edelheim. Tu y as trouvé mentorat et aide, quoi que ta confiance brisée ne s'est restaurée qu'au contact d'Adrien, un Milicien des ressources humaines de Frankfort. Tu l'as aimé une cinquantaine d'années en silence. Puis quand tu t'es mis à agir en conséquence de tes sentiments, ça a été la lumière au bout du tunnel, le gouffre en toi, ton vide se remplissait enfin. Tu as tout découvert de lui. Tout ce qu'il aimait, ce qu'il détestait et tu es devenu l'homme parfait pour lui. Il t'a rejetté après avoir découvert que tu avais fait une intrusion chez lui pour voler quelques objets personnels lui appartenant histoire d'avoir quelque chose à lui près de toi.

Suivi psychologique plus tard, tu as séquestré Philipp ton psychologue et nouveau coup de cœur. Pour le garder captif, tu le droguais, il ne t'a jamais donné son consentement, donc tu ne l'a jamais touché autrement que pour lui imposer tes autres volontés. Tu n'as jamais violé sexuellement. Mais son intimité, ses secrets... Puis il y a eu Alexander, Victor et Joyce qui lui a eu un syndrome de Stockholm trop temporaire à ton goût. Vampires, humains, hybrides. Ils n'ont pas tous porté plainte. Quand ils l'ont fait, ça n'a jamais débouché. Certains t'ont presque aimé. Tu as essayé de changer d'air pour te remettre de ton dernier cœur brisé et tu t'es promené à travers l'Europe en tant que musicien itinérant. Tu as connu alcool et drogues pour toi-même cette fois histoire de t'engourdir un peu. Tu as fini ta course au Danemark, à Copenhague. Un barman t'a vu jouer dans la rue et t'a invité sur la scène de son bar. Tu as jammé avec trois autres musiciens avec qui la musique venait naturellement et qui deviendraient les membres de Twisted Strings.

Plus en moyen, tu as cherché un nouveau psychologue.

Tu en es tombé amoureux.

Il lui est arrivé la même chose qu'aux autres, sauf que cette fois sa plainte a porté fruit. Tu as été condamné à dix ans d'esclavage. Par chance, c'est un membre de ton groupe qui t'a pris chez lui. Ton agent de probation a réussi à te faire comprendre que ton obsession est mal, mais pas que ce que tu fais est mal. Tu as fait comme si.

Tu as été libéré il y a quinze ans.

Depuis, tu vis de ta musique. T'essaies de te contrôler, tu limites les rencontres plus personnelles qui pourraient te faire tomber à nouveau dans la déchéance. Ton groupe est devenu très populaire, tu as tant une carrière solo qu'une carrière de groupe. Tu as décidé de faire de la musique ton premier amour, même si tu n'arrives plus à jouer du piano depuis Leon. Tu te concentres sur la guitare électrique et la basse. Tu souffres de douance musicale, alors tes doigts font des miracles sur leur cordes.