Tu es né juste avant le disco des années 80 à Montréal.

Speak White a été le poème de ton enfance. Tu venais de Saint-Henri. Ton père travaillait pour un Anglos de Westmount. Ta mère était au foyer comme ça se faisait encore dans le temps. Le prêtre de votre paroisse lui disait de pondre des bébés, tu as été son dernier avant qu’elle se fasse excommunier en refusant d’en faire d’autres.

Tu es né avec une cuillère en bois dans la bouche. La classe moyenne-pauvre, pour ne pas dire pauvre tout court, vous définissait assez bien, tes parents, toi et tes trois frères. Dernier né de la fratrie, tu as été le plus gâté, le dernier à quitter le nid familial, à avoir besoin d’un job étudiant. Il n’y avait pas de jalousie entre toi et tes frères, qu’une saine compétitivité. La vie a fait que tu sois tombé sur de bons parents, remplis d’amour. Tu as eu une enfance des plus normales et adolescent, tu rencontrais le plus grand amour de ta vie au moins une fois à tous les deux mois. À chaque fois une fille différente. T’étais assez populaire pour qu’elles disent oui à chaque fois que tu leur demandais de sortir avec toi. Après elles te quittaient parce que t’étais trop studieux et que tu ne leur donnais pas assez d’attention. Ton père t’a appris ce qu’était la politique, ancien membre du Front de Libération du Québec, il t’a appris à vouloir l’égalité, l’équité, la séparation du Québec. Assez vieux pour être admis à l’université, tu es tombé dans les prêts et bourses. Tu as juste suivi tes passions. Tu as fait administration, puis éternel étudiant, tu as pris goût aux études supérieures et tu faisais ta première année en ressources humaines que…

La necrosis est arrivée.

Ta famille y est passée au complet sauf toi. Ça t’a anéanti, beaucoup plus que le référendum de 1995 auquel tu avais voté « oui » et qui t’a démotivé, te démotivera pendant encore des centaines d’années face à la politique. Bref, tu as été conscris par les forces armées Canadienne pour aller te battre conte un deuxième fléau, les vampires, cette rage que tu avais face à la vie en général, a fait de toi le plus vicieux des tueurs de ces bêtes sorties de l’ombre. Lorsque les humains ont rendu les armes, tu devais être exécuté pour l’ensemble de tes actes barbares envers les vampires. Tu ne sais pas comment ils en sont venus à décider de te transformer.

Ça aurait pu être un calvaire.

Mais toi qui n’avais plus rien, t’es vu donner une nouvelle famille. Instable en général, surtout mentalement, tu t’y es accroché. Te foutant un peu de tes idéologies tant qu’ils étaient là pour remplir le vide sans fond qui s’était creusé en toi. Dépaysé, poupée de chiffon qui exécutait les ordres avec dévotion, tu n’étais plus Alexis, mais un chien qui obéissait au doigt et à l’œil. Ça a pris longtemps. Très longtemps avant que tu ne redeviennes qui tu étais. Il a fallu que ton géniteur vampire se suicide après avoir tué son amant, une histoire de violence conjugale. Il a fallu que l’énorme famille qu’il avait composée se disperse et que tu aies du temps pour penser.

Penser, tu n’avais pas le temps de faire ça avant. On le faisait à ta place.

Plus de deux-cent ans avaient passé.

C’est long deux-cent ans.

Tu te retrouvais seul pour la première fois. À réfléchir, enfin à pleurer. Pleurer la mort des tiens, ta transformation. Tu as fait ton deuil de ta vie d’avant et tu as décidé de recommencer. À zéro cette fois, tu as fait des petits jobs çà et là pour te payer du sang et un billet d’avion vers le Danemark. Pourquoi le Danemark? Parce que ta dernière copine à l’université venait de là et qu’elle t’avait partiellement appris quelques mots. Au pire tu te débrouillerais en Anglais ou en Français. Tu t’en foutais. Tu allais recommencer et vivre en paix, avec toi-même. Avec Alexis Whitlock.

Comme vampire dans un monde en pleine évolution, tu n’as pas eu besoin de visa pour passer les douanes. La première chose que tu as fait après avoir trouvé un appartement miteux, c’est trouver quelqu’un pour t’apprendre la langue. C’est là que Karim Tulsac est arrivé dans ta vie. Il était propriétaire d’une grosse compagnie de production de technologies Anti-UV. Tu avais posté une petite annonce sur internet et non-seulement il t’offrait des cours de Danois, mais un job et des études dans le domaine de ton choix.

La bonté n’est jamais gratuite.

Tu es devenu son amant. Pas son amoureux. Un fuck friend. Rien de majeur. Il t’a initié au plaisir, chose que tu n’avais jamais ressentie pendant l’acte qui ne t’intéressait plus vraiment. Tu es retourné à l’université pour réapprendre l’administration et les ressources humaines, tu pouvais faire à peu près ce que tu voulais dans sa compagnie, mais vous vous étiez lié d’une belle amitié et tu as décidé de devenir son secrétaire personnel. Tulsac était ton boss, mais aussi ton meilleur ami. Il te poussait à donner le meilleur de toi-même, t’a aidé à forger le nouvel Alexis sociable, aimant et bon envers les autres. Il est le premier devant lequel tu t’es ouvert. Le premier avec lequel tu as rit pour de vrai à gorge déployée. Il t’a réappris à aimer, à aimer les autres, assez pour faire de toi un militant contre l’esclavage quoi qu’il t’a aussi inculqué la supériorité des vampires qui ne devait pas changer.

Il t’a fait parfaire tes connaissances à gauche et à droite, auprès d’autres compagnies, en retournant à l’université quelques fois pour des mises-à-jour.

Ces années, près de trois-cent ans, tu as découvert le monde avec lui, tu t’es fait de vrais amis. Il est devenu ta famille. Ta vraie famille, sans qu’il n’y ait de romance entre vous. Il t’a fait plonger dans plusieurs livres et au final, la romance t’avait manqué… Et si tu as essayé d’être en couple plusieurs fois, ton hétérosexualité rendait la chose difficile, puis on te reprochait d’être trop dévoué à Tulsac avec lequel tu commençais à militer, à faire remplir des pétitions, partageant cette philosophie novatrice et presque équitable. Tu étais si fier de faire partie de sa vie.

Puis la milice est débarquée en 2448 suite à une tentative d’attentat raté. Le procès de ton meilleur ami a été expéditif, tu n’as pas eu le droit d’y participer, tu sais juste qu’il a été exécuté en 2500 après un des plus long procès. Son avocat t’a regardé droit dans les yeux quand il a pris ton dossier en charge et t’a dit que le gouvernement cherchait juste à se débarrasser de deux fauteurs de troubles. Le preuves étaient falsifiées, ils avaient fait un bon travail pour se débarrasser de Tulsac, mais un moins bon dans ton cas. Ton premier procès a été expéditif tu as été condamné à faire des travaux communautaires en attente d’une révision des preuves par la cours. C’était en 2500… Et tu penses encore à lui, l'âme en peine. T’attends encore en 2503, travaillant comme secrétaire dans une compagnie sans paye, sans temps pour toi, vulgaire esclave corporatif.